La revue du Louvre et des musées de France

N° 3 - 1963

p. 129 - 136

 

LES STATUETTES DE TERRE CUITE GALLO-ROMAINES

 

Hugues VERTET

 

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Peu de temps après le début de l'ère chrétienne, apparaissent dans l'archéologie gallo-romaine, des statuettes d'argile qui deviennent de plus en plus nombreuses à mesure qu'on s'avance vers le IIe siècle (1). Il y avait bien longtemps que les peuples de la Méditerranée orientale, avaient produit en quantité et employé ces santons pour la décoration de leurs maisons comme pour leurs pratiques religieuses, et la Gaule semble avoir reçu d'un seul coup, des techniques de fabrication et des thèmes artistiques, élaborés par une longue tradition étrangère. Après une vogue qui dura plus d'un siècle, cet art rustique décline, disparaît dans le Bas-Empire et les fabriques se transportent en Germanie, sur les bords du Rhin, suivant un mouvement économique auquel obéissent aussi les fabriques de vases moulés, par exemple.

On ne peut pas dire qu'aucune statuette d'argile n'ait existé dans notre pays, avant la période dont nous venons de parler, ni qu'il n'en existât aucune après. Les hommes ont toujours essayé de modeler la glaise, et les relations commerciales qui unissaient là Gaule à l'Italie et à la Grèce bien avant la conquête romaine, ont apporté des terres cuites. Mais il semble bien que ce ne soient là que des essais locaux et sans extension, et des importations sporadiques. Il faut signaler cependant une forme de modelage autochtone, assez largement répandue que l'on a coutume d'appeler "chenets à tête de bélier", bien qu'ils représentent parfois d'autres animaux. On en trouve des exemplaires antérieurs de plusieurs siècles à notre ère, jusqu'à une époque assez tardive. On pourrait trouver aussi jusque dans le haut Moyen Age des modelages figurés, mais la grande période des figurines moulées de la Gaule est celle qui fait l'objet du présent article (2)

C'est dans le centre de ce pays que se sont établis les artisans adonnés à une production intensive. Les fabriques principales se trouvent dans la vallée de l'Allier : à Saint-Rémy-en-Rollat, Vichy, Toulon-sur-Allier, Saint-Bonnet... ; dans la vallée de la Loire : à Bourbon-Lancy... ; et dans les vallées de ses petits affluents : la Besbre, l'Acolin (3)..., dans une région assez bien délimitée, à la frontière des Eduens, des Arvernes et des Bituriges. On connaît d'autres fabriques, à Autun par exemple, et dans d'autres régions de France, et il est probable qu'on en trouvera de nouvelles. Mais il semble bien, que leur plus grande densité recouvre en partie le territoire où l'on produisait des vases à reliefs vernissés, d'où sortait "la terre sigillée de la Gaule centrale". L'étude archéologique montre que les deux fabrications étaient liées. Les mêmes artisans produisaient souvent des figurines et des poteries, comme on l'a remarqué dans d'autres pays. C'est un fait très précieux pour l'étude chronologique des terres cuites, difficiles à dater comme la plupart des productions populaires. Les fouilles des fabriques, reprises actuellement, nous montrent dans leurs dépotoirs, statuettes et vases ensemble, et l'on sait que la céramique sigillée, par ses signatures, ses formes et ses décors qui changèrent rapidement, est un des meilleurs moyens de datation précise.

 

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1. Moule signé " Sacrillos " provenant de la fabrique de Toulon-sur-Allier. Intérieur.

2. Moule signé " Sacrillos ". Extérieur.

Les fabricants de statuettes ont, dès le début, semble-t-il, adopté la technique du moulage. On a trouvé des matrices en argiles pleine, de pigeons ou de quadrupèdes par exemple, modelées à la main, finies à l'ébauchoir. L'artisan entourait l'objet d'une chape de glaise, puis la séparait en deux parties avec une lame qui suivait une ligne tracée profondément sur un parcours déterminé, de telle façon que les deux creux obtenus fussent de dépouille. On a rarement trouvé des statuettes dont la fabrication ait fait appel à des moules très nombreux. La simplicité et la rapidité déterminaient le travail. On ne retrouve pour ainsi dire jamais en Gaule la fantaisie qui inspire les céramistes de Tanagra ou de Myrina par exemple, dans l'assemblage varié des membres, des attributs ou des attitudes.

 

Les potiers inscrivaient souvent leur nom au dos des moules, dans l'argile encore molle. On a pu retrouver ainsi toute une série de noms autochtones, quelquefois très peu romanisés, comme "Oppo", "Sacrillos", "Abudinos"... (fig. 1 et 2). Parfois le nom est accompagné de la formule - "avot" où l'on voit le synonyme gaulois de "fecit", ci que l'on retrouve aussi sur quelques moules de vases sigillés contemporains. Il ne semble point, comme on l'a supposé, que l'on puisse voir là un certain orgueil de propriété artistique, car des noms différents se retrouvent sur des moules identiques. Les céramologues pensent plutôt que ce sont des marques de propriété ou des signes permettant de compter plus facilement le travail accompli par un ouvrier.

Lorsque le moule était cuit, il suffisait à un manoeuvre de pousser, avec les doigts, de l'argile dans le moule, en couches minces superposées qui en épousaient ainsi les cavités mêmes minimes, et de laisser sécher ce revêtement intérieur; il se détachait de lui-même par le retrait de la dessication. Les parties du sujet étaient alors collées avec une barbotine fluide. Les pattes raides des chevaux, moulées à part, étaient ajustées au corps et l'ensemble à une petite plaquette. Les Vénus formées de la face et du dos étaient collées, souvent sans beaucoup de soin, sur un socle hémisphérique tiré lui aussi d'un moule. Un trou d'évent percé avec une pointe assurait que la dilatation des gaz renfermés à l'intérieur ne ferait pas éclater l'ensemble sous la chaleur de la cuisson.

Une des caractéristiques de cette production gauloise semble être que le dos de la figure était aussi soigné que le devant, et que la terre, la plupart du temps très blanche, a très rarement gardé quelques traces de peinture.

 

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Les couleurs ont-elles été délavées par l'humidité du pays, plus persistante que celle d'Afrique du Nord ou de Syrie ? C'est un problème qui n'a pas encore reçu une solution complète. I1 est bien rare aussi que l'on trouve des marques de retouche avant cuisson, même si le moulage a été mal fait ou si le démoulage a écrasé des détails... On peut ainsi supposer que toutes les statuettes passaient des mains des mouleurs-colleurs dans le four, et du four dans le commerce, ou dans le dépotoir, s'il y avait eu des accidents de cuisson, ce qui semble avoir été fréquent.

On pourrait imaginer que la façon la plus commode de se procurer un modèle pour un fabricant de statuettes était de mouler des figures d'argile ou de métal importées - surtout s'il s'exerçait à une technique étrangère aux traditions de son pays. C'est ce que firent les potiers au début du 1er siècle, relevant des motifs sur les vases arrétins qui envahissaient leur marché (4).

Mais cela ne semble pas avoir été si facile pour les terres cuites. En effet, ni au moment de leur apparition en Gaule, ni pendant leur plus grande vogue, je ne vois les officines céramiques des autres régions de l'Empire répande leurs produits chez les Arvernes, les Bituriges ou les Eduens. On n'a point signalé de moulage direct de statuettes en bronze parmi les terres cuites, me semble-t-il. I1 faut dire aussi que les inventaires de bronzes figurés locaux ne sont pas terminés (5), et que des similitudes peuvent exister sans être connues. On pourrait ajouter que les potiers étaient de petites gens et qu'ils n'étaient pas assez fortunés pour posséder eux-mêmes des bronzes aussi grands que la taille moyenne de leurs personnages, qu'il y eut peut-être surmoulage dans les premiers temps et que nous connaissons surtout un stade de fabrication quasi industrielle reproduisant et affadissant sans cesse les mêmes thèmes. Nous sommes dans le domaine de l'hypothèse prudente et nous avons peine à nous en écarter. Il est certain aussi que l'argile ne permet pas des attitudes et des gestes aussi déliés, que ceux dont le métal donne la possibilité. Pour des raisons de solidité et aussi de moulage facile et rapide, les potiers essayaient spontanément de figurer les bras collés au corps et les jambes réunies, comme on le voit sur les Vénus et d'autres figures. Ils évitaient ainsi les ajustages qui prennent du temps et rendent l'objet fragile.

Si nous ne connaissons pas encore d'objets attestant un moulage direct, il est cependant certain qu'il y eut des rapports étroits, entre les terres cuites gallo-romaines et les produits contemporains de Gaule et des autres provinces, de la toreutique, de la bimbeloterie de métal, de pierre et d'argile, de la statuaire...

Parmi les rapprochements les plus nets que l'on puisse établir se trouve un buste de Vulcain en argile blanche, trouvé à Bellerive (Allier) en 1958, dans les fouilles d'une officine de potiers, du IIe siècle (6), et un peson de bronze, trouvé près du Donjon (Allier). Celui-ci représente un buste d'Hercule (fig. 3), identifiable à la leonté jetée sur l'épaule gauche, avec un mufle nettement dessiné, et à une petite massue noueuse collée contre la poitrine à droite. Il n'y a pas de bras.

 

 

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Le cou, massif, est dégagé sur le côté jusqu'à l'oreille, mais caché partout ailleurs par une barbe épaisse qui rejoint la moustache et la chevelure. Sur celle-ci est posée une couronne de médaillons ronds qui semblent fixés sur un ruban, dont les deux extrémités ondulent de part et d'autre sur les épaules. Le nez est droit et la pupille marquée d'un point. Une courroie traverse en diagonale la poitrine, supportant probablement un carquois.

Le style et la forme générale du buste en terre cuite trouvé à 50 km de l'Hercule sont les mêmes (fig. 4). Les outils, tenailles et marteau sont trop petits par rapport à l'ensemble, comme la massue ; ces attributs ne sont là que pour identifier le dieu. On retrouve aussi les yeux largement ouverts, les lèvres charnues, une barbe fournie rejoignant la moustache et la chevelure, et le même espace nu sous le nez, le cou énorme. Ce sont bien là les produits d'un art contemporain et il est vraisemblable que le céramiste s'est inspiré d'un peson proche de celui de Donjon.

I1 faut y ajouter les transformations éventuelles apportées par le potier. Ici les bras maladroitement ajustés sous les épaules et les doigts repris à l'ébauchoir sont une addition ingénieuse mais peu utile ; le socle et la pastille collés avant cuisson sont des supports passe-partout fréquents dans la production du moment.

De façon moins directe en général, on peut établir des liens cependant certains, avec d'autres types créés par la plastique gréco-romaine. On retrouve les Vénus, les Minerves, les Mercures, les Apollons, tels que tous les temples de l'Empire en connurent, et aussi le Spinario, assis sur son rocher, Éros et Psyché, l'enfant sur le dauphin, les grotesques, des oscilla...

Mais en considérant attentivement ces copies souvent si maladroites de prototypes, déjà eux-mêmes bien éloignés de l'original, il arrive que l'on puisse déceler d'étranges transformations. Parfois, les artisans mettent spontanément l'accent sur ce qui, plus ou moins consciemment, leur semble le plus important dans la forme d'un corps ou les attributs d'un dieu. Ils nous révèlent ainsi quelques aspects d'une psychologie que nous connaissons si mal, faute de textes, et surtout quelques secrets de la religiosité populaire de l'époque.

Parmi les séries qui nous offrent en même temps une interprétation curieuse des bronzes contemporains, se trouve un type de Mercure, dieu que les potiers ont souvent figuré, assis ou debout, suivant des modèles répandus dans tout l'Empire romain. I1 est ici représenté comme au garde à vous (fig. 5), le manteau agrafé sur l'épaule par une grosse fibule ronde, une grosse bourse dans la main droite, un énorme caducée sous la gauche. Les têtes des reptiles, de part et d'autre d'une boule qu'elles mordent, sont bien dessinées, surmontées d'une espèce de crête ; leur cou porte un collier tracé à petits traits (7). Leurs corps contournés en une double boucle serrée d'un double anneau enroulent leurs queues autour d'une petite colonne ou d'un autel surmonté de deux sphères superposées, reposant sur une petite base moulurée.

 

Photo 3. Peson de bronze. Musée de Moulins.

 

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D'autres statuettes de style plus rustique nous montrent l'évolution populaire du thème, marquée par une frontalité raide, d'une grande pauvreté de détails dans la musculature et la draperie. Les yeux deviennent proéminents, la chevelure simplifiée, le sexe ithyphallique. Un bronze trouvé à Chatenay (Nièvre) (fig. 6) représente un Mercure aux attributs placés de façon identique, où les caractères d'un art populaire archaïque ou archaïsant n'apparaissent pas de la même façon en raison des différences de technique de l'argile et du métal, mais c'est le même canon court et trapu, le même mouvement de la chlamyde, le même souci de souligner le sexe.

Nous sommes loin de la figure classique du messager des dieux. Les éléments ailés disparaissent des talonnières, du caducée, et il serait bien difficile de le reconnaître au vu de sa coiffure ; le pétase prend, en effet, des formes étranges, bonnet ou béret, orné de boules ou de cornes, ou seulement d'un médaillon. A l'incompréhension et à la négligence de ces attributs s'opposent la taille et le réalisme du caducée, qui acquiert une importance exceptionnelle. Les serpents en occupent toute la hauteur visible, reposant sur le sol où parfois se perdent leurs queues, enroulées autour d'un autel ou d'un gros bâton, suggérant que les autochtones voyaient dans Mercure plutôt une espèce de dieu aux serpents, que le héraut divin.

Nous pourrions faire des remarques du même genre au sujet de Vénus, si souvent traitée par les modeleurs du centre de la Gaule : nous n'en avons pas moins d'une dizaine de types, comportant parfois de nombreuses variantes. La déesse est représentée le plus souvent sous la forme d'une femme nue, debout, tenant d'une main une draperie qui pend jusqu'à terre et de l'autre tordant une mèche de sa chevelure. Un peu moins fréquente est la Vénus dite pudique, cachant son sein, ou le pressant pour en faire jaillir le lait; on la voit aussi apparaître avec un ou plusieurs Amours auprès d'elle ou comme protectrice d'une série de personnages plus petits (fig. 7).

 

5. Mercure en terre cuite. Musée de Moulins.

6. Mercure en bronze trouvé à Chatenay (Nièvre).

 

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Souvent elle est seule, debout sous un édicule au fronton triangulaire ou arrondi, dont les rampants sont ornés de S affrontés. La taille et les proportions varient d'un artisan à l'autre, mais il est nettement visible que pour les modeleurs gallo-romains, imitant un type alexandrin, les hanches doivent être larges et la poitrine menue, le sexe clairement indiqué. C'est plus une déesse de la fécondité que l'image de la beauté et de l'amour.

D'autres figures ont acquis une originalité plus grande, plus marquée, plus flagrante tout au moins. C'est par exemple la mater courotrophe, si fréquente dans tous les arts rustiques de la Méditerranée. Vêtue d'une longue robe, assise dans un fauteuil d'osier tressé à haut dossier, elle allaite tantôt un, tantôt deux bébés, et sous cette dernière forme, paraît être une production plus fréquente en Gaule qu'en Italie ou dans les autres provinces de l'Empire (8). Entre les mains des céramistes locaux, elle devient, peu à peu, rigide, figée dans une frontalité austère et impassible. Sa tête devient très grosse. Ses cheveux se stylisent en S (fig. 8). En même temps, l'enfant s'amenuise ; enfermé dans son maillot, minuscule objet dans la main de la déesse, analogue aux nourrissons étagés sur les bras des déesses-mères de Capoue. La mère grandit sans mesure, tandis que l'enfant diminue. On pourrait remarquer une évolution de même sorte dans les représentations mariales mille ans plus tard : l'enfant, d'abord essentiel, est assis en frontalité sur les vierges romanes ; mais à mesure que le culte de sa mère se précise et s'organise, il se tourne lui aussi vers elle, glisse sur le côté, diminue de taille, s'esquive même parfois; il n'est plus qu'un attribut charmant. Sur les terres cuites de la Gaule, le soin apporté à la figure de la déesse et la négligence de l'enfant, qui disparaît parfois sur certaines statuettes des fabriques de l'Ouest, témoignent d'une évolution artistique curieusement analogue.

 

7. Vénus protégeant une série de personnages.

8. Déesse mère tenant deux bébés.

 

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Enfin certaines figures paraissent n'avoir de répondant dans aucune autre province. Ainsi se présente un Jupiter à la roue, brandissant son attribut sur son épaule droite, tandis que de l'autre côté il a sous sa main une petite figure féminine, nue et agenouillée. Si la tête est de tradition hellénistique, la disposition du groupe se retrouve dans la sculpture rustique, par exemple à Guéret. On a vu dans le personnage principal, le roi des dieux et du ciel. Si, comme on le suppose, le thème primitif, est l'empereur triomphant accompagné d'un captif, nous en sommes fort loin, et par la plastique, et certainement par le sens (9).

A côté des dieux et des déesses, apparaissent de nombreux personnages civils et des enfants, souvent porteurs d'offrandes ; le cucullus sur la tête ou rejeté derrière la nuque, ils sont vêtus généralement d'un manteau qui descend jusqu'aux genoux, parfois un collet festonné entoure le cou, sur d'autres un plastron avec deux petites pendeloques couvre la poitrine (fig. 9). Tous sont fort intéressants pour l'étude du costume de l'époque. Les bustes ont été aussi produits en quantité importante, les plus connus sont des figures joufflues, animées d'un rire joyeux, souvent complètement chauves. Sur ses têtes féminines, aux coiffures souvent soignées, on peut reconnaître parfois des arrangements semblables à ceux des impératrices.

 

9 - Enfant vêtu d'un manteau à cucullus. Terre cuite. Musée de Strasbourg.

 

10 - Chien en terre blanche. Musée de Strasbourg.

 

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Les animaux sont variés ; on a retrouvé surtout des pigeons, des coqs, des paons. Les chiens assis (fig. 10), leurs pattes fines tendues et collées sur un socle mince et les lapins (ou lièvres) nous parviennent souvent intacts, dans les tombes où ils avaient été déposés. I1 arrive que le bélier couché soit curieusement en équilibre sur un socle rond, où un potier pressé l'a collé. Le lion n'est pas rare, et représenté avec un souci certain de réalisme ; peut-être en voyait-on souvent dans les jeux du cirque ou sur les sculptures. Des singes sont accroupis ou assis dans des positions diverses; l'un soutient de la main gauche sa tête pensive ; un autre, le regard fixé droit devant lui, a les deux mains appuyées sur ses genoux; un troisième, croise les bras en se cachant le visage ; certains ont une apparence humaine, et portent le cucullus.

II faut encore signaler des oeufs, des fruits exécutés aussi en terre blanche, des pommes percées de trous comme des salières, des noix... Au total, c'est par centaines qu'apparaissent les personnages, les animaux, les objets moulés et répandus par un actif commerce, surtout tourné vers le nord de la Gaule, l'Angleterre et la Germanie.

Une autre catégorie terminera enfin ce rapide inventaire, ce sont les vases figurés. Parfois le modeleur s'est contenté de prendre une figurine ordinaire et de relier la cavité intérieure à un goulot; on peut voir, par exemple, un boeuf ainsi aménagé trouvé à Chantenay-Saint-Imbert et un autre à Vichy, tous deux déposés au Musée de Moulins (Allier). Mais il y en a d'autres, antérieurs et datables du 1er siècle, qui sont uniquement conçus pour contenir des liquides. Ils sont presque toujours revêtus de glaçure plombifère. Ce sont des animaux couchés canards (fig. 11), lapins, cerfs, sangliers, lions, guenon allaitant son petit assis entre ses pattes... ou bien des têtes humaines surmontées d'une anse et d'un déversoir (fig. 12) comportant parfois deux visages accolés (10). On peut supposer que ces petits vases ont servi à conserver des essences parfumées, comme les vases de bronze représentant des têtes humaines, de forme et de style assez proches.

Devant cette diversité de sujets, on peut se demander à quoi servaient les terres cuites gallo-romaines. On a retrouvé des terres cuites de même type dans les tombes, dans les sources, dans les puits, dans les temples, dans les maisons ; certaines terres cuites pouvaient servir à l'amusement des enfants, ou d'ex-voto, ou de dépôt funéraire (11). Nous sommes encore trop à court d'observations très précises en Gaule pour pouvoir donner des règles générales, et il faut considérer chaque découverte avec beaucoup de soin et de sens critique.

Actuellement, l'étude des terres cuites de Gaule, en sommeil pendant un demi-siècle au moins, recommence avec les recherches sur les lieux de fabrication et avec les inventaires des trouvailles anciennes et modernes. Elle peut donner des renseignements fort précieux dans de nombreux domaines, notamment en ce qui concerne leur diffusion pendant les premiers siècles de notre ère, les techniques et les thèmes iconographiques venus de Méditerranée orientale et d'Italie, les croyances et les cultes dans un milieu où allait s'implanter le christianisme.

 

NOTES

 

(1) Les études sur les statuettes d'argile gallo-romaines sont rares. La principale est celle d'Adrien BLANCHET, parue dans les Mémoires des Antiquaires de France, en 1890 et en 1899.

(2) Je remercie vivement les Conservateurs des Musées de Moulins et de Strasbourg, M. le Conservateur du Cabinet des Médailles et les Collectionneurs qui m'ont permis de reproduire les statuettes qui illustrent cet article.

(3) H. VERTET, vénus, cucullatus et autres figurations de l'officine de Thièl-sur-Acolin (A11ier), R.A.E., t. XI p. 303-314.

(4) A. VERTET. Les vases caliciformes gallo-romains de Roanne et la chronologie des ,fabriques de terre sigillée de Lezoux au début du IIe siècle. Gallia XX-1962.2. p. 351-380.

(5) Un travail important est en cours. Nous pensons aux publications récentes de G. Faider-Feytmans, Recueil des bronzes de Bavai. Esperandieu et H. Rolland, Bronzes antiques de la Seine-Maritime, tous deux suppléments de Gallia. PLEBEL, Les bronzes figurés, dans la série des catalogues des collections archéologiques de Besançon, etc...

(6) Docteur VAUTHEY et P. VAUTHEY, Ogam. X, 6, p. 413-416 ; idem, R.A.C., I, 4, p. 334-347

(7) H. VERTET, Mercure en bronze trouvé à Chatenay (Nièvre), R.A.E., XIII, p. 65-73; et Mélanges offerts à Albert Grenier (III. Remarques sur l'aspect et les attributs du Mercure gallo-romain populaire dans le Centre de la Gaule), p. 1605-1616.

(8) H. VERTET. Représentations de déesses tenant deux enfants dans leurs bras en Gaule et en Afrique du Nord. Actes du Congrès National des Sociétés savantes de Montpellier.

(9) On trouvera de nombreuses représentations de figurines dans E. TUDOT, Collections de figurines en argile, oeuvres premières de l'art gaulois, avec les noms des céramistes qui les ont exécutées, Paris, 1860, ouvrage qui sert encore de nos jours de corpus, bien que les dessins soient souvent enjolivés.

(10) Cf. aussi J. DECHELETTE, Les vases ornés de la Gaule romaine, II, pl- X et p. 322 sqq.

(11 ) H. VERTET, Sur des ex-votos gallo-romains et modernes. Revue Archéologique de l'Est, t. XIII, p. 124-235.