Recherches sur les ateliers de potiers de la Gaule centrale (hors-série n° 6 de la Revue Archéologique Sites), tome 1, 1980

Philippe BET, Hugues VERTET

FOUILLES DE SAUVETAGE D'UN HABITAT DE LA ZONE DES ATELIERS DU SECOND SIECLE A TOULON-sur-ALLIER, AU LIEUDIT "LA FORET" (ALLIER)

 

1. Circonstances de la découverte; raisons de l'intervention archéologique.

Le site archéologique de "La Forêt" est connu depuis fort longtemps à cause des fouilles exécutées au siècle dernier notamment par Monsieur Hastier de la Jolivette, puis par M. Alfred Bertrand de la Société d'Emulation du Bourbonnais.

Elles avaient révélé l'existence d'un atelier de potiers gallo-romains qui produisaient des statuettes en argile blanche, celles qui ont fait le renom de Toulon/Allier dans le monde entier; ils avaient dégagé des fours de potiers et découvert un très grand nombre de moules et de figurines en terre cuite. Malheureusement, les rapports que nous ont laissés ces premiers fouilleurs sont très vagues, et exempts de plan de situation. Aussi, nous ne savions, plus de cent dix ans après, où se trouvait le gisement archéologique.

En novembre 1978, nous avions procédé à une prospection de surface sur le tracé de la voie express de l'Allier, après les premiers travaux de décapage qui s'étendaient sur environ quatre kilomètres, de la Route Nationale n°7 jusque dans le Bois de Leyde .

Au Profil 35, côté Nord; nous découvrîmes un grand nombre de fragments de statuettes de toutes sortes, la plupart émiettés par le poids des engins de terrassement, et une statuette de Déesse-Mère complète, mais également en très mauvais état.

Des drains, longeant la surface décapée, révélèrent la présence de couches archéologiques encore en place. Le mobilier, abondant, permettait de préciser deux périodes d'occupation: premier siècle, et deuxième siècle de notre ère.

Par chance, le premier décapage n'avait pas entamé partout les couches archéologiques, et quelques centaines de mètres carrés de terrain devaient être intactes.

Quelques jours après cette prospection, un nouvel examen du site permit la découverte, dans la paroi d'une barquette 1aissée par les engins, d'une statuette de Déesse-Mère intacte, et de nombreux autres débris antiques.

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pp. 74,75,76,77 : plans et photos

Devant l'importance du site, que tant de découvertes laissaient supposer, Monsieur jean Busnel, Préfet de l'Allier, fit interrompre pour une durée de six mois les travaux de terrasse ment sur cette portion de voie ( P . 34 à P . 36 ) afin de permettre une intervention archéologique. Le temps d'obtenir -autorisation

et, crédits, puis de réunir une équipe de fouilles, fit que nous, ne pies entreprendre véritablement les recherches que début avril; nous n'avions plus alors qu'un seul mois, jusqu'au 2 mai, pour les mener à bien.

Les conditions atmosphériques (pluie et froid continuellement) rendirent particulièrement difficile cette fouille; nos niveaux étant souvent recouverts par l'eau, malgré la fabrication de deux abris ( surface couverte: 32m2 ) par deux ingénieurs de la D.D.E./Allier.

Nous voulûmes et pûmes respecter le délai convenu, notamment grâce à la participation d'une quarantaine de fouilleurs bénévoles, et à l'aide occasionnelle de groupes archéologiques locaux.

Cette intervention archéologique de sauvetage a permis de mettre à jour, outre un mobilier archéologique abondant ( statuettes, sigillée, poterie peinte, commune, métallescente, quincaillerie, monnaies de bronze,... ) de la seconde moitié du deuxième siècle, une maison d'habitation et des surfaces d'occupation de la zone des ateliers de potiers.

 

2. Situation du site.

 

Le site de "La Forêt" se trouve à deux kilomètres au sud du bourg de Toulon/Allier et à huit kilomètres de Moulins/Allier, et à environ 720 mètres à l'est de la Route Nationale n°7. Le tracé de la voie express Est/Ouest de l'Allier, qui relie Montluçon à Digoin/Mâcon, et qui est une branche de la voie transeuropéenne Atlantique/Centre Europe, traverse le site archéologique aux Profils 34 et 35. Le site archéologique du "Larry" (atelier contemporain de celui de "La Forêt") se trouve à environ un kilomètre au nord-ouest du site de "La Forêt".

 

3. Le bâtiment.

 

Le bâtiment a une longueur supérieure à vingt mètres et a un plan trapézoïdal (largeur du mur: à l'ouest=7m50, à l'est=6m50. Son orientation est est/ouest. Nous lui avons attribué la dénomination "F1". I1 est constitué de murs faits en gros moellons informes d'environ vingt-cinq centimètres de coté. Ces pierres ne sont pas jointives, et parfois une vingtaine de centimètres sépare les pierres entre elles. La largeur du mur est d'une trentaine de centimètres et son épaisseur souvent voisine de quinze centimètres.

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A l'intérieur du bâtiment, le niveau d'occupation se trouve en surélévation par rapport aux murs. I1 est installé sur un remblai bien daté par une monnaie en bronze d' Antonin de la seconde moitié du deuxième siècle trouvée dans le secteur M2 de P35 et qui se trouvait près de l'arase inférieure du mur nord. Dans ce même remblai, un nombre très important de fragments de statuettes et de poteries ont été découverts.

Dans le secteur J/2-3 de P.35, nous avons mis à jour trois éléments, en place, d'un dallage en terre cuite, en bordure du mur sud. I1 était en fait composé de tegulae, posées en diagonale, à joints croisés. Les tuiles étaient placées à l'envers, rebords vers le bas; celles qui se trouvaient en bordure de la paroi Sud avait leur extrémité coupée en oblique ( voir photo). La trace "en négatif" d'une sablière ( poutre horizontale dans laquelle viennent s'assembler les autres pièces d'une charpente) était bien visible dans ces secteurs ( voir photo).

I1 s'agit donc d'un bâtiment construit sur terre-plein central, dont la construction est facile à suivre:

 

4. La construction du bâtiment (hypothèse).

 

Première phase : réalisation d'une chaîne de 1ibage (semelle en pierres grossièrement taillées) en soubassement, pour répartir les charges et éviter un contact direct de la sablière avec le sol.

Deuxième phase : pose de la sablière (longue poutre placée horizontalement dans laquelle viennent s'assembler les autres pièces de la charpente).

Troisième phase : installation d'un terre-plein central avec de la terre rapportée et damée; cette surélévation permet d'isoler le bâtiment des infiltrations extérieures d'eau ( remblai compacté).

( les 2 et 3° phases peuvent s'intervertir) Quatrième phase: construction des pans de bois et remplissage en pisé ( nous n'avons retrouvé trace d'aucune pierre autre que celles du soubassement dans la couche de démolition du bâtiment). Cinquième phase: rose de la charpente et de la couverture en tuiles. ( I1 est possible qu'il s'agisse d'un toit mono-pente orienté vers le sud, vu que nous n'avons retrouvé un très grand nombre de tegulae percées d'un trou de fixation (parfois avec le clou encore en place) qu'au pied du mur sud, et aucune autre ailleurs).

 

5. Le foyer de la cheminée.

A l'intérieur du bâtiment, dans les secteurs J-K/5-6, nous avons découvert le foyer d'une cheminée. Formant un arc de cercle, elle a une longueur d'environ 1m40, une profondeur intérieure maximum de quarante centimètres environ.

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Ce foyer est installé en oblique par rapport au mur sud, faisant ainsi une sorte de recoin, marquant peut-être l'existence d'une cloison nord/sud à l'ouest (secteurs I-K-L/5-6 de P.35). Ce foyer est construit avec des tuiles intactes ou brisées. Là sole est constituée d'une tegula entière placée au milieu, et de trois grands fragments de tegulae; elles sont placées rebords vers le bas. La paroi du foyer est constituée de fragments de tegulae avec un rebord apparent du côté interne de la cheminée.

La sole du foyer, lors de la découverte, était recouverte d'une épaisse couche de charbon de bois qui descendait sur le niveau d'occupation. Cette couche de charbon de bois, ainsi que le niveau d'occupation autour, était recouverte d'une couche de tuiles épaisse de sept à huit centimètres.

Le niveau d'occupation devant la cheminée était constitué d'un cailloutis installé sur le terre-plein central.

 

6. La stratigraphie à l'intérieur du bâtiment.

 

Nous avons rencontré les couches suivantes (nous donnons des profondeurs moyennes en centimètres par rapport au niveau du sol).

 

terre stérile argileuse. -0

toiture effondrée. -30

couche de charbon de bois. -45

niveau de cailloutis. -50

remblai du terre-plein centrale mur. -52

couche de terre argileuse stérile ( devenant blanche en profondeur). -82

Nappe phréatique -150

 

La couche correspondant à la toiture effondrée est épaisse en moyenne d'une quinzaine de centimètres, mais atteint parfois vingt ou trente centimètres. Certaines des tuiles composant cette couche, brisées sur place, sont aisément reconstituables. le toit avait une pente vers le sud ( voir §4 ) .

Nous avons également noté la présence d'un très grand nombre de clous dans les couches de toiture effondrée et de charbon de bois ( incendie de la charpente). En ce qui concerne cette dernière couche, nous avons également noté la présence de grandes plaques de charbon de bois épaisses de plusieurs centimètres ( quatre à cinq centimètres en moyenne) sur une surface allant jusqu'à 1500 centimètres carrés, notamment dans les secteurs I/29, J-K-L/30 (de P34).

 

7. Le niveau d'occupation autour du bâtiment F1.

Le niveau d'occupation, constitué par endroit d'un cailloutis, était recouvert d'une couche décroissante, à mesure que l'on s'éloignait du bâtiment, de débris de toiture, sous la quelle se trouvaient de nombreuses poteries jetées là. Nous citerons trois exemples de ce niveau:

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Dans les secteurs G.H.I./28 de P34 à G.H.I./3 de P 35, nous avons mis à jour une couche de toiture effondrée particulièrement importante dans les secteurs I, où nous avons découvert une trentaine de tuiles entières mais brisées sur place, dont un très grand nombre présentait un trou du côté de l'encoche droite ( partie supérieure droite de la tuile), certaines avaient même encore un clou en place. Cette couche avait une épaisseur I nettement moindre dans les secteurs H, mais par contre la découverte de poteries domestiques s'y accentuait: dans le secteur H1 de P . 35, découverte d'un bol en sigillée, d'un déversoir de mortier type Coulanges, de fragments de statuettes (Déesses-Mères, ... ) ; dans le secteur H.30 de P.34, découverte d'un mortier en terre jaune (dans ce dernier secteur, la couche de tuiles remonte et semble s'appuyer sur un talus); dans le secteur 1.1 de P .35, découverte d'un bol hémisphérique f.m.37 archéologiquement complet, représentant une scène d'animaux traitée en style libre.

Dans le secteur 0/8 de P.35, nous avons découvert dans la partie nord/ouest du secteur, un ensemble de six grands fragments de statuettes; dans la partie sud de l'ensemble, trois socles de bustes jonchaient le niveau de cailloutis (c2) (leur partie inférieure se faisait face) et étaient espacés entre eux de moins de deux centimètres d'écart; à quatre centimètres du socle le plus septentrional, gisait la partie haute d'un "risus" (coin et tête, la partie arrière vers le haut); à treize centimètres de ce dernier, se tenait profil gauche contre le sol un autre fragment de risus; il n'en restait que la tête, et encore était-elle mutilée.sur son profil droit. A dix-huit centimètres au nord/ouest de celui-ci, nous avons découvert un dernier grand fragment de risus, face contre le sol, mieux conservé que les autres (tête, cou, plastron).

Enfin dans le secteur M/30 de P.34, nous avons découvert un mortier à déversoir en terre blanche, complet, gisant contre un mur.

 

8. Conclusion.

 

La fouille de Toulon-sur-Allier/"La Forêt" n'a pas donné de. structures spectaculaires, mais l'existence quotidienne des potiers qui vivaient là, ni leurs cabanes., n'étaient pas non plus extraordinaires. Ce que nous a révélé cette fouille, c'est une vision de la réalité dans toute son humilité.

Elle nous a révélé un bâtiment, sans doute à pans de bois, avec un foyer extrêmement modeste construit avec des fragments de tuiles, et un dallage original fait aussi avec des tuiles, des niveaux d'occupation qui nous ont livré un abondant mobilier céramique et métallique, des pièces de monnaie qui précisent bien l'époque de fonctionnement des ateliers de "La Forêt" ( les découvertes monétaires sont rares d'habitude dans les ateliers de potiers).

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Le mobilier particulièrement bien daté fera l'objet prochainement d'une étude exhaustive.

Les fouilles qui doivent être menées l'an prochain sur la portion de la seconde phase des travaux de la voie express (à quelques mètres au nord de la zone fouillée en 1979) mèneront sans doute à la découverte des structures de travail des potiers de Toulon-sur-Allier/"La Forêt".

 

Nous tenons à remercier tous ceux qui ont participé bénévolement aux fouilles archéologiques de "La Forêt" en Avril 1979: Alain Provost, Nicole Gaudichon, Patrice et Brigitte Subaet, Nadine Long, Catherine Ropero, Sylvie Ratèau, Jean-Pierre Lacoste,, Nadine Robert, Marie-Pierre Feuillet, Marie-Hélène Husson, Serge Mordon, Thibault Dalle, Jacques Hubert, Mireille Garnier, Jean-Luc Caumartin, Odile Cartault, Isabelle Jourdan, Emmanuelle Billet, Charles Becker., Bruno Texier, Corinne Bollengier, Véronique Foletti, Emmanuelle Millet, Alain Schmaltz, Agnès Couenon, Sylvie Nivet, Ginette Micha.l.ski, Yves Cormier, Catherine Champion, Daniel Gras, Stéphane Van T'Veer, Reine Gangloff; Groupe Archéologique ARTIA, Centre de Recherches et de Documentation sur la céramique Gallo-Romaine du centre de la Gaule (B.T.C.G.), Groupe Archéologique d'Yzeure, Centre de Recherches Archéologiques de Vichy et de sa Région, Groupe Archéologique de Tronget (ALT), Groupe Archéologique de la M.J.C de Vichy. Nous tenons aussi à remercier pour leur aide extérieure: M. Busne_l, Préfet de l'Allier, M. Le Directeur Départemental de l'Equipement de l'Allier: M. Mollard, ainsi que ses adjoints: MM. Lavergne et Lhermet, M. De Roquefeuille.

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